Cyber, la guerre permanente – 2018 – Jean-Louis Gergorin

Jean-Louis Gergorin et Léo Isaac-Dognin

L’initiative « 21st Century Statecraft » qui avait été annoncée en trombe par Hillary Clinton lors de son arrivée au Département d’État début 2009 prend alors tout son sens. Ce programme, dont le nom ambigu se traduit à la fois par « l’art de la gouvernance » et « la fabrication de l’État » au XXIe siècle, visait à utiliser les nouvelle technologie pour créer un lien direct entre l’État américain et la population des pays étrangers afin de promouvoir la politique étrangère des États-Unis sans avoir à passer par le gouvernement local. L’initiative affichait également comme objectif de faciliter l’utilisation de ces technologie pour favoriser la liberté d’expression et accélérer l’émergence de régimes démocratiques.

Alors que les mouvement contestataires s’étendent au Proche et Moyen-Orient, la presse britannique révèle que le Pentagone américain a passé un marché avec NTrepid, une firme technologique californienne, pour développer « un service de gestion de personnalités virtuelles en ligue » permettant à des soldats de l’armée américaine de contrôler jusque’à dix fausses identités numériques. Ce contrat stipule que chaque faux alias numériques doit avoir un profil et antécédents crédibles, et que l’outil doit permettre à 50 militaires d’opérer leurs fausses identités « sans crainte d’être repérés ou identifiés par des adversaires même sophistiqués ». L’armée américaine envisage d’utiliser l’outil pour inonder les forums et réseaux sociaux de messages en arabe, farsi, pachto et ourdou légitimant la présence et la politique étrangère des États-Unis au Moyen-Orient. L’opération militaire à laquelle l’outil est destiné est baptisé « Opération Earnest Voice » (« Opération parole sincère » ! ) et son budget dépasse les 200 millions de dollars.

Pour les dirigeants russes, il n’y a plus aucun doute: le gouvernement américain instrumentalise la vague de printemps arabes en promouvant et facilitant l’utilisation des moyens numériques, avec l’appui technique et idéologique des entreprises de la Silicon Valley. Pire, il n’hésiterait pas à utiliser ces technologie pour fausser l’opinion publique et inciter les citoyens des pays étrangers à suivre la ligne politique des États-Unis.

Au même moment, les analystes russes perçoivent, comme beaucoup d’autres, le risque que l’instabilité et le vide de pouvoir profitent davantage aux forces extrémistes, notamment aux groupes islamistes radicaux, qu’à l’établissement d’une réelle démocratie.

Empêcher le renouvellement d’une attaque sur le sol national après le 11 septembre 2001 devient une priorité nationale absolue pour les États-Unis. C’est dans ce contexte qu’est voté le Patriot Act, dotant le pouvoir exécutif de tous les moyens nécessaires à la réalisation de cet objectif prioritaire, notamment en améliorant quantitativement et qualitativement le renseignement anti-terroriste qui avait été incapable de prévoir cette attaque. Pour ce qui est du renseignement, le Patriot Act élargit considérablement les capacités de surveillance électronique et physique non seulement de tous les ressortissants, mais également de citoyens américains. 

La décennie 2000 voit donc très logiquement une extraordinaire croissance des moyens et des outils techniques, donc des opérations de la NSA, croissance qui influence la stratégie cyber en gestation. Les révélations d’Edward Snowden à partir de juin 2013 donnent une remarquable vision panoramique des capacités mises à la disposition du Cyber Command par la NSA et du cadre des opérations cyber-offensives américaines.

Les deux révélations les plus significatives de ces documents sont le programme GENIE d’insertion continue par la NSA d’implants dans des dizaines de milliers de systèmes informatiques et la Directive PPD 20 définissant les modalités d’approbation des opérations cyber-offensives par le président américain.

L’installation d’implants sur un nombre sans cesse croissant de système informatiques (ordinateurs, serveurs, routeurs) à l’échelle mondiale fut le vecteur central de la stratégie américaine de domination totale du cyber-espace poursuivi continûment pas les administrations de George Bush et Barack Obama. Cette stratégie visait à tout surveiller, tout analyser afin de tout savoir.

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